Quel accueil pour un enfant présentant une malformation faciale ?


Quel accueil pour un enfant présentant une malformation faciale ? 



«Chaque minute, quelque part dans le monde, un enfant naît, porteur d’une des multiples formes de fentes faciales» 

Ceci n’est pas sans incidence sur la relation que le nouveau-né va entretenir avec ses parents et son entourage. La fente labio-palatine, appelée «bec-delièvre», est la malformation craniô-faciale la plus fréquente chez l’homme. Cette anomalie du visage survient au cours de l’embryogenèse, entre la cinquième et la dixième semaine de grossesse. Il s’agit d’une «malformation de la lèvre supérieure, et éventuellement du palais, dans le prolongement d'une narine» (Larousse), laissant apparaître une «fente» au milieu du visage. De nos jours, la prise en charge chirurgicale des nourrissons atteints de cette malformation tend à se généraliser. Elle permet de pallier au déficit morphologique en redonnant à la bouche sa forme attendue et fonctionnelle. Cependant, si elle semble être salvatrice la plupart du temps, elle n’en est pas pour autant thaumaturgique. Il faut également souligner le fait que l’opération ne va pas de soi dans toutes les parties du globe. Les enjeux de la présence d’une fente labio-palatine chez un nouveau-né sont nombreux. Celle-ci entraîne aussi bien des conséquences morphologiques, que fonctionnelles et psychologiques, voire sociales. Cet article se concentrera sur ces deux dernières. Les attentes parentales et communautaires sont élevées quant aux bébés à naître et aux enfants. Ils constituent le renouvellement et l’avenir de la vie des parents tout comme de la société. Alors, quand un enfant naît différent des espoirs dont il a été investi, les réactions suscitées peuvent se manifester de diverses manières, quelquefois extrêmes. La confrontation à cette altérité vient éprouver ceux qui l’attendaient, parfois si impatiemment. L’arrivée de l’enfant engendre nécessairement bouleversements et sentiments ambivalents. Ainsi, selon les attentes culturelles, sociétales ou les rêves et le regard parentaux, l’enfant atteint d’une malformation peut devenir sujet de rejet, d’isolement, voire d’abandon. De telles attitudes sont susceptibles d'entraîner de profondes blessures affectives, de la souffrance chez le bébé (dont le développement se construit à travers les interactions, par l’affectivité et les liens d’attachement qu’il tisse dès les premiers jours). Cela constitue une réelle violence envers l’enfant.  

Malformations infantiles : significations et croyances 

Tout ce qui n’est pas conforme à la norme nous questionne. Chaque culture va proposer sa propre explication et adopter un regard particulier quant aux maladies et malformations. Ceci influence les diverses réactions affectives et les représentations sociales sur ces problématiques. Tandis que dans certaines régions du monde, la malformation est considérée comme une malédiction, dans la culture occidentale elle est plutôt envisagée comme un simple dysfonctionnement morphologique. Chez les Inuits du Grand Nord, elle est vue comme une «voie à l’expression d’aptitudes insoupçonnées», une «capacité à rebondir et à réaliser des performances dans les conditions les plus difficiles» les moqueries sont dès lors condamnées. En revanche, en Afrique noire, la présence d’une fente labio-palatine chez un nourrisson soulève plutôt des enjeux de 

l’ordre de la maltraitance et la violence infantile. Les cultures africaines sont dites «sémantiques» : tout a une signification, un sens caché. Les maladies ou les malheurs ne sont donc pas le fruit du hasard. Un nouveau-né représente le retour à la vie d’ancêtres décédés, ou d’un esprit. Un nourrisson présentant une fente labiopalatine signerait la réincarnation de mauvais esprits ou autres causes supranaturelles. Il est alors perçu comme un démon, une malédiction pour le village, un être à éliminer. De fait, la pression communautaire entraîne la mort de nombreux enfants (confère infanticides et/ou un traitement négligent). Au Bénin, de véritables rituels noient les enfants polymalformés dans des fleuves ou rivières. Au Sénégal, l’enfant atteint de malformations représente la honte et le déshonneur de la famille; il est caché, condamné à vivre dans l’ombre. Son anomalie l’exclut de toute vie sociale et lui bloque notamment l’accès à une éducation. Ces deux exemples illustrent la violation des principes de la Convention des droits de l’enfant et de la Charte africaine du droit et bien-être de l’enfant (tels que droit à la vie, à la survie et au développement, droit à l’éducation, droit à la non discrimination...). Aujourd’hui, diverses associations se rendent en Afrique pour opérer ces «enfants différents», afin d’améliorer leur destinée et de leur éviter un rejet social ou une mort précoce. Malgré tout des cicatrices physiques autant qu’identitaires persistent. Jusqu’ici, le rapport de l’enfant à la communauté a été évoqué. Qu’en est-il de la relation particulière parents-enfant et des rapports humains qui se jouent alors ? 

Quand l’inconnu surgit: entre regard originaire…

 Notre visage nous singularise. Il constitue la réalité extérieure de notre identité, ce qui rend possible la relation à l’autre. Il est d’autant plus central en ce qui concerne le bébé : en effet, c’est vers ce visage que tout un chacun va originellement se tourner afin d’échanger avec ce nouveau venu. Mais qu’en est-il lorsque le visage qui se présente à nos yeux nous apparaît difforme? Une malformation faciale de cet être qui naît tout juste au monde provoque une confrontation brute à l’altérité. La découverte d’une fente labio-palatine sur le visage de son enfant est un moment particulièrement délicat pour les parents. La présence de cette malformation est désormais fréquemment découverte lors de l’échographie. Les parents vont pouvoir réconcilier, précocement, deux représentations : celle d’un bébé rêvé, idéalisé, et celle du bébé qui va naître, porteur d’une malformation faciale. L’enfant réel va alors « doubler » l’enfant imaginaire et un travail de deuil de l’enfant rêvé s’impose afin d’accueillir l’enfant réel. Le diagnostic posé confronte les parents à une épreuve; les sentiments à l’égard de leur enfant et d’eux-mêmes se bousculent : incompréhension, désarroi, tristesse, colère, révolte, impuissance, culpabilité, honte… Mal accompagné, ce moment peut entraîner, si ce n’est une interruption volontaire de grossesse, des difficultés émotionnelles, une dépression, un traumatisme, un désinvestissement de l’enfant de la part de ses parents. Tous ces éléments constituent une souffrance pour l’enfant. La malformation faciale peut mettre les parents face à une difficulté d’accès à leur parentalité, notamment à travers les soins prodigués au bébé et dans la mise en place de la relation intersubjective. Plus les parents parviendront à relativiser la place de la malformation rapidement, moins l’impact sur le bébé sera conséquent. 

 liens d’attachement 


Le nourrisson ressent fortement les émotions parentales, qui sont parties prenantes de sa construction. La qualité des interactions précoces et le développement de la relation parent-enfant sont liées aux représentations parentales de l’enfant. «Quand un bébé regarde sa mère, il voit deux choses : les yeux de sa mère et sa mère en train de le regarder». met ici en évidence le rôle miroir de la mère, de même que celui de la famille.  les tout premiers gestes se fondent sur les représentations inconscientes de la mère et induisent certaines réactions du bébé. Elle même et l’enfant se trouvent dans une relation essentiellement affective; le bébé vit ses émotions avec sa mère. Mais quel regard la mère peut elle porter sur son enfant malformé ? Le bébé va-t-il être considéré comme une personne ou réduit à sa malformation, qui devient dès lors un handicap ? L’enfant fait les parents ; luimême, la mère, le père constituent une véritable systémie. Le bébé va chercher la relation, en utilisant son corps et son visage pour soutenir l’interaction et provoquer des réactions de la part de son entourage. Ses compétences relationnelles se développent dans l’interaction continue avec ses parents, et le bon développement de ses capacités cognitives dépend sensiblement de l’encouragement parental. Une certaine synchronisation dans l’interaction parents-enfant est nécessaire. Or, si la réponse aux sollicitations du bébé n’est pas suffisamment proche de ce qu’il attend (désintérêt des parents, négligence, non réponse, dépression de la mère qui ne parvient pas à s’occuper de son enfant…), il est probable que celui-ci adopte une attitude de retrait afin de se protéger, ce qui peut rapidement devenir pathologique. Ce retrait relationnel doit constituer le signal d’alarme d’un risque de développement inharmonieux lors de la petite enfance et doit être entendu comme un signe silencieux de la souffrance du bébé. En effet, le développement étant un processus actif et interactif, des troubles réactionnels de l’attachement -notion qui comprend à la fois la dimension de l’attachement (enfant) et celle de lien (parent)- risquent de se muer en troubles du développement. Ainsi, une perte de sécurité fortifiante pour l’enfant va le placer en position de vulnérabilité. Le bébé étant un être totalement dépendant de l’attention de ses parents, une privation du lien peut engendrer un effondrement dépressif. De bonnes relations, au contraire, constitueront les prémisses d’un développement harmonieux.

 Ouverture : Visage et émotions à l’épreuve du sens 

Derrière la naissance d’un bébé porteur de fente labio-palatine se cachent plusieurs enjeux: sens attribué à cette anomalie, réaction sociale, vécu particulier de l’enfant et de ses parents... Cela place l’enfant et sa famille dans une situation de vulnérabilité. Si les relations d’attachement parents-enfants peuvent parfois se trouver altérées, ce n’est pas pour autant une fatalité car, le plus souvent, nourrisson et parents s’apprivoisent naturellement. Il est important de garder en mémoire le fait que l’enfant est une personne qui ne se réduit pas à sa malformation.  «La meilleure manière de se tourner vers autrui c’est de ne même pas remarquer la couleur de ses yeux». Ainsi, le visage n’est pas un objet mais un appel d’autrui et une ouverture à l’infini de la dimension intersubjective. Il est sens à lui seul, et la relation authentique se joue dans la réponse que l’on va apporter à ce visage. Accepter l’enfant tel qu’il se présente à nous, renoncer à l’idée du «bébé parfait» ne permet-il pas l’ouverture à l’amour véritable ?


Commentaires
* L'e-mail ne sera pas publié sur le site web.
CE SITE A ÉTÉ CONSTRUIT EN UTILISANT